Elon Musk veut-il créer un Bitcoin 2.0 ?
Alors que le ciel s’éclaircit à peine, après l’une des tempêtes les plus brutales, et les plus soudaines auxquelles Bitcoin et l’industrie crypto ait eu à faire face, que chacun compte ses pertes et n’ose discerner dans la reprise des dernières heures l’esquisse de lendemains meilleurs, l’heure est déjà au bilan et à la recherche d’explications.
Et si l’argument de l’irrationalité d’un marché non-régulé et réputé “manipulé” est encore une fois rebattu, c’est bien pour la première fois peut-être, vers les agissements d’un unique individu en particulier que les regards se tournent. Elon Musk, puisque c’est de lui dont il s’agit, demeurera désormais dans l’Histoire comme celui qui, d’un simple message de 240 caractères aura propulsé Bitcoin au firmament, mais aura également été capable de lui faire perdre de la même manière plusieurs centaines de milliards de dollars de capitalisation.
Si “l’épisode Dogecoin”, aura généré des sentiments variés, de l’ironie à l’effroi en passant – n’en ayons pas honte – par une forme de respect tant l’exercice était de haute volée, tout indique désormais que “The Martian” a un véritable plan global pour Bitcoin. Quelle est sa nature profonde ? Quelles sont ses chances de succès, et surtout : à quelle type de bouleversement faut-il s’attendre pour la création de Satoshi Nakamoto ? Il est temps d’esquisser une réflexion.
Le paradis Elon, l’enfer Musk
Alors que chacun panse encore ses plaies suite à la bastonnade générale de ces derniers jours, les plus raisonnables rentrent dans une période d’introspection. Dans le même temps ceux qui étaient les plus bruyants ces derniers mois, gonflés de leur conviction en une hausse perpétuelle et un festival permanent de bougies toujours plus vertes, se font soudainement plus discrets.
Et dans ce concert désaccordé en mode gueule de bois à la sauce blockchain, on s’attendait logiquement à ce que le fantasque milliardaire Elon Musk fasse lui aussi profil bas.
En effet, si les nuages d’orages venant de Chine sont considérés comme l’élément déclencheur de la chute des marchés crypto de ces derniers jours (l’Empire du Milieu ayant fait connaitre sa volonté de brutalement interdire le minage et le négoce de Bitcoin sur son territoire, ça a beau être la 6ème fois en 7 ans, ça fait toujours son petit effet), ce sont bien les actions – et surtout les déclarations – du patron de SpaceX qui ont accompagné les pas de Bitcoin dans la Vallée de la Mort cette semaine.
Une virée sous acide dans une atmosphère rouge-sang, d’autant plus insupportable qu’elle suivait de peu une courte mais intense incartade au paradis de l’ATH de Bitcoin peu de temps auparavant, la reine des devises numériques frôlant les 64 000 dollars mi-avril.
En langage plus profane, on rappellera pour résumer que c’est la déclaration d’Elon Musk annonçant que Tesla vendrait désormais ses véhicule électriques en BTC qui avait propulsé l’actif vers de nouveaux sommets, initiant une période d’euphorie haussière.
Une news accueillie avec d’autant plus d’enthousiasme que quelques semaines plus tôt, le monde avait été informé du fait que Tesla en tant qu’entreprise investissait 1.5 milliards de ses fonds propres en bitcoin. Une euphorie très vite étouffée cependant par un rétropédalage aussi brutal qu’inattendue, le même Elon Musk assurant finalement que « Bitcoin n’étant pas produit dans des conditions écologiquement satisfaisantes », sa marque de véhicule renonçait finalement aux transactions utilisant Bitcoin (Tesla assurant cependant conserver ses actifs en trésorerie).
Démarrage en fanfare, rétropédalage en règle en l’espace de quelques semaines, le tout devant l’ensemble d’un secteur crypto abasourdi par une prise de conscience aussi tardive que surréaliste de la part d’un esprit considéré unanimement comme brillant et en avance sur son temps.
Ainsi, alors même que certains ironisaient déjà sur les comptes que l’ami Elon allait devoir rendre au conseil d’administration de Tesla, plusieurs tweets émis ces dernières heures par l’intéressé pourraient donner des pistes de réflexions sur les véritables desseins de Musk sur Bitcoin
Le plan d’Elon pour Bitcoin
Ce qui suit repose sur un postulat simple : Elon Musk, homme le plus riche de la planète (périodiquement du moins, au gré des variations de patrimoines de Jeff , Bernard, Bill et Mark), fondateur de plusieurs sociétés qui dessinent – au sens absolument littéral – l’avenir du destin économique et technologique d’une partie de l’Humanité, sait globalement ce qu’il fait, et n’agit pas autrement que dans le cadre d’un plan global.
On objectera sa dimension fantasque, son comportement parfois erratique et une propension égotique à se mettre perpétuellement en scène, mais impossible de ne pas en convenir, on ne devient pas avant 50 ans l’un des hommes les plus puissants du monde sans un plan d’enfer, et la capacité à l’exécuter.
A ce titre, on pourra d’ailleurs souligner à quel point manipuler un marché financier non régulé et affectivement aussi immature que lui, doit être infiniment plus simple et ludique que de faire ré-atterrir un lanceur spatial ou disrupter le secteur automobile centenaire de son pays, entre autres trophées.
Ainsi, après avoir été en grande partie responsable des secousses récentes du marché, et avoir jeté le trouble sur ses desseins véritables, Elon Musk pourrait laisser présager dans ses derniers tweets la teneur de ses ambitions : remodeler une partie de la géopolitique du minage de Bitcoin, et très probablement faire en sorte, 13 ans après sa création, d’accroître son influence sur la créature de Satoshi Nakamoto
La Guilde des mineurs américains
Par une combinaison de circonstances aussi heureuses qu’étonnamment bien articulées, on apprenait hier qu’Elon avait « discuté avec les mineurs de Bitcoin nord-américains », tout ce petit monde étant tombé d’accord sur les modifications à apporter au modèle énergétique dominant permettant la production de bitcoins.
Ainsi, même si les faits demeurent tenaces en rappelant qu’environ 75% de l’énergie nécessaire au minage de BTC est déjà d’origine renouvelable, le sujet d’un Bitcoin nouveau, “écologiquement responsable” est présenté comme le sujet du moment.
On goûtera en esthète le changement d’ambiance qui fait dans l’opération passer Elon Musk d’un semi-troll de la crypto, manifestement bien peu concerné par les conséquences de ses tweets, à l’incarnation de la responsabilité faite entrepreneur californien.
Une transition d’autant plus nette qu’elle s’accompagne d’une alliance de circonstance, en la personne de Michael Saylor, patron de Microstrategy, autre VIP américain du Bitcoin, sa société étant désormais à la tête d’un trésor de guerre de plus de 92 000 bitcoins, soit 3.6 milliards de dollars au cours actuel.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les deux CEO-stars n’ont pas attendus longtemps pour exposer leurs ambitions sur fonds de ban du minage en Chine et de problématiques écologiques globales.
On apprend ainsi que ce serait Michael Saylor qui aurait sollicité Musk et convoqué un grand conseil de guerre des leaders du minage américain. Objectif : mettre en place les conditions d’une production de bitcoins “propre” et “transparente”, sur fond d’éducation du marché.
L’occasion au passage de rappeler que si le minage de bitcoins nord-américain ne représente qu’environ 7% du hashrate global, le sujet est devenu éminemment géopolitique, les Etats-Unis ayant parfaitement saisi l’importance de reprendre du leadership sur le sujet.
Comment ça “où est la France ?”
Quoi qu’il en soit, ce nouveau et encore un peu flou “Conseil du Minage de Bitcoin” aura vocation à incarner la proposition américaine en la matière
Un Bitcoin si “vert” qu’il ferait se pâmer la plus retorse des Greta Thunberg, forgé dans de bonnes vieilles usines yankees, et bien évidemment, parfaitement conforme aux exigences des régulateurs. Une démarche dans laquelle les acteurs américains se sont déjà engagés ces derniers mois, avec en tête de file Marathon Digital et sa (tentative de) production de Bitcoins compliance-friendly.
Elon Musk forgera t-il le Bitcoin nouveau, made in america ?
Au-delà de ses Doggeries habituelles, Elon Musk a parfaitement senti cette tendance de fonds. L’occasion d’insister encore une fois sur le fait que lorsqu’on dirige des entreprises qui œuvrent main dans la main avec l’état fédéral US on ne travaille pas autrement que dans le sens du vent géopolitique. En effet, on ne deale pas avec la NASA et on ne travaille pas sur l’automobile du futur ou sur l’IA aux Etats-Unis sans être en bonne intelligence avec les autorités locales.
Ainsi, et même si on rappellera que la passion d’Elon Musk pour Bitcoin est peut-être plus récente encore que la votre (avant 2020, il répondait parfois en interview qu’il ne possédait que des poussières de satoshi), le patron de Tesla s’est désormais pris d’une passion dévorante pour l’invention de Nakamoto.
Mais comme tout les bricoleurs de génie, tout indique qu’il pourrait ne pas hésiter à tenter de peser lourdement sur le futur de la devise, voire si les circonstances le lui permettent, pourquoi pas à chercher à influer sur sa nature même.
Avant cela, et pour l’heure, l’objectif semble clair : faire des Etats-Unis une nation leader du minage de Bitcoin, et imposer sur le sujet de nouveaux standards qu’il conviendra ensuite d’imposer au monde. Une logique normative, des plus classiques ces 80 dernières années dans le cadre de la lutte de domination économique américaine.
On notera au passage, que les actuelles expérimentations d’Elon Musk sur le dogecoin (qu’il souhaiterait rendre plus rapide et plus efficient, après être parvenu à en faire la 4ème devise du marketcap crypto), pourrait n’être qu’un avant-goût, un test en mode bac-à-sable avant de s’attaquer au véritable sujet : le roi Bitcoin
A quoi pourrait ressembler un Bitcoin reforgé, ré-orienté dans sa production même par une guilde menée par des individus comme Elon Musk ou Michael Saylor ? Difficile à dire, même s’il est certain que cette tentative de domestication irait mécaniquement de pair avec une perte potentielle des valeurs fondatrices de Bitcoin : décentralisation, liberté d’usage et de participation au fonctionnement, pseudonymat et liberté des transactions et des échanges.
Le tout sans compter le potentiel de conflits et de discorde si d’aventure la communauté internationale formée autour de Bitcoin décidait de riposter, que ce soit sous la forme d’une “guerre du hashrate”, ou du déploiement de moyens de contournements et de ripostes (mixeurs de Bitcoin, consensus autour d’évolutions du protocole, hard forks…).
On dit souvent de Bitcoin que c’est l’actif “anti-fragile” par excellence et son histoire récente démontre qu’il est systématiquement parvenu à se nourrir des crises et des attaques, ne cessant jamais de se renforcer. L’actuelle rencontre entre la monnaie la plus solide de l’histoire et un des hommes les plus puissants du 21ème s’annonce d’ores et déjà épique.
Source: journalducoin.com