Silk Road : Bitcoin et champignons, l’émergence de l’Amazon de la drogue de Ross Ulbricht

« L’État peut essayer d’interdire nos outils, mais si nous ne les utilisons jamais par crainte qu’ils soient interdits, nous avons déjà perdu, non ? »

Ross Ulbricht – Source : Forbes

Si vous êtes friand des cryptomonnaies, cette phrase devrait avoir un certain écho en vous. Elle a été prononcée par quelqu’un que vous connaissez probablement ou, au moins, dont vous connaissez la création, Silk Road.

Aujourd’hui, nous allons parler d’un petit génie de l’informatique aux antipodes des stéréotypes. Profond libertarien qui adorait le surf et la fête, et qui a transformé une culture de champignons hallucinogènes en la plus grosse plateforme de vente de drogue de l’histoire d’internet.

Vous l’aurez peut-être reconnu, il s’agit bien de Ross William Ulbricht, alias The Dread Pirate Roberts, créateur de Silk Road. Lancée en 2011, la plateforme a été l’un des plus gros empire du Bitcoin et sa fermeture en 2013 par le FBI entraînera également l’arrestation et la chute de son créateur.

Qu’on le veuille ou non, Silk Road est l’un des premiers cas d’usage à grande échelle de Bitcoin et l’affaire aura énormément contribué à sa médiatisation, à l’époque.

Ross Ulbricht, itinéraire d’un enfant pas comme les autres

Du Boy-Scout…

Le début de ce mois d’octobre a marqué un évènement majeur pour Ross, il vient de passer une décennie entière derrière les barreaux, dix ans de sa vie.

« Un an pour chaque doigt des deux mains. Aujourd’hui, s’achève une décennie entière en prison. Je crains parfois de passer le reste de ma vie derrière des murs de béton et des portes verrouillées. Mais, je n’ai personne d’autre à blâmer. Ce sont mes mauvais choix qui m’ont conduit ici. Tout ce que je peux faire maintenant, c’est prier pour la miséricorde. »

Ross Ulbricht – Source : X

Mais, retournons un peu dans le passé. Ross Ulbricht naît le 27 mars 1984 et passe son enfance à Austin, au Texas. Il passe ses étés au Costa Rica, dans la cabane en bambou alimentée à l’énergie solaire de ses parents, à courir pieds nus sur la plage avec les singes et à surfer.

Il était aussi Boy-Scout, comme son père, et avait obtenu le grade Eagle. C’est simple, c’est le plus haut rang chez les Boy-Scouts, et ça symbolise des compétences de leadership exceptionnelles. Pour l’atteindre, un scout doit réaliser un projet de service communautaire et accomplir diverses autres exigences. C’est une distinction très prestigieuse aux États-Unis.

Les badges des Boy-Scouts

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… Au petit génie

Il avait aussi un côté « nerd » fan de comics, remportant à plusieurs reprises des concours de mathématiques, et peignant des figurines Warhammer sur son temps libre, il n’a pas fallu attendre longtemps avant qu’il ne s’intéresse aussi à l’informatique.

Au lycée, c’était une personne de très populaire, très sociable et qui appréciait faire la fête. Pour autant, il restait un garçon brillant et était souvent décrit par ses proches comme un petit génie.

Et pour cause, il a obtenu un score de 1460 sur 1600 au SAT, qui est un peu l’équivalent du baccalauréat aux États-Unis. Avec de tels résultats, il a pu décrocher une bourse et intégrer l’University of Texas à Dallas où il va étudier la physique.

À ce moment-là, Ross se fait un nom en publiant des articles scientifiques sur les technologies de l’énergie solaire. Ses amis le décrivent comme la parfaite balance entre un physicien et un hippie. Bref, il aimait faire la fête, mais savait concilier cela avec les études.

En 2006, il obtient l’équivalent d’une licence en physique et poursuit ses études à l’université de Pennsylvanie vers un Master en science et ingénierie des matériaux. Il obtiendra son diplôme haut la main en 2009, mais fut très vite lassé de l’idée de devenir un scientifique. Ce n’était pas pour lui, ce qu’il voulait, c’était entreprendre.

La découverte du libertarisme

Et, il n’y a pas que ça. Pendant sa scolarité, il a découvert, entre autres, les travaux de Ludwig Von Mises et les fondements de l’école autrichienne. Si ces noms vous rappellent quelque chose, c’est normal. Bon nombre de Bitcoiners cristallisent les idéaux de ce courant de pensée. On ne va pas rentrer dans le détail ici puisque ce n’est pas le sujet, mais retenez que Von Mises était un économiste notoire.

Quant à l’école autrichienne d’économie, c’est une école de pensée caractérisée par son
individualisme méthodologique et son fort accent sur les marchés libres, la propriété privée
et la liberté individuelle. Elle souligne volontiers l’importance de la concurrence, de la théorie du cycle économique et de la décentralisation du pouvoir économique et politique.

Bref, au fil de ses lectures, Ross devient un profond libertarien et cultivera cette philosophie,
qui ne va plus jamais le quitter. Vous commencez à le voir venir, la graine de Silk Road est plantée.

À Dallas, Ross fait la connaissance de Julia Vie, et les deux tombent rapidement amoureux l’un de l’autre. Après son diplôme et sa désillusion sur son avenir comme scientifique, ils vont décider de rentrer à Austin tous les deux.

L’éducation sentimentale

Ross va essayer de monter différents business, il va se tester au métier de trader, tenter divers petits boulots et même monter une entreprise de jeux vidéos… Malheureusement pour lui, rien ne prendra.

En 2010, son voisin de palier et ami, Donny Palmertree, lui propose de se joindre à lui pour travailler sur Good Wagon Books, un business dont le but était de récupérer des livres d’occasion et de les revendre sur des plateformes en ligne comme Amazon.

Ross a mis sur pied le site de Good Wagon, a appris à gérer des stocks. Il a aussi développé un script permettant de définir le prix de revente des livres en fonction de leurs notes sur Amazon. Il continuera un temps à travailler sur Good Wagon, et même en parallèle de Silk Road.

La charge de travail deviendra vite insoutenable et il ne se consacrera plus qu’à l’un des deux,
vous avez deviné lequel. En parallèle, il écrit dans son journal qu’il déteste travailler pour quelqu’un d’autre et que l’idée d’échanger son temps contre de l’argent sans investir dans lui-même le révulse.

Ross Ulbricht et Julia Vie – Source

Et, dans le même temps, sa relation avec Julia évoluait et cette dernière est l’une des seules personnes à avoir eu vent de l’idée de Silk Road par Ross lui-même. Elle dira que celui-ci était venu la trouver, en lui parlant de la route de la soie, à quel point ça constituait un immense réseau, que c’est ce qu’il voulait créer.

Malheureusement, l’idylle ne dura pas, le fait que ce dernier passe l’intégralité de son temps
devant son ordinateur ne convenait plus à Julia et ils finirent par se séparer. Cela a beaucoup affecté Ross et il avouera qu’à cette période ses émotions étaient sens dessus dessous et qu’il avait beaucoup travaillé sur lui-même pour que tout cela aille mieux.

Il n’a d’ailleurs jamais perdu contact avec Julia. L’idée de Silk Road mûrissait depuis longtemps, son rêve était de créer un site web où tout le monde pourrait acheter n’importe quoi de manière anonyme, avec aucun moyen de remonter jusqu’à eux.

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Silk Road, l’Amazon du Dark Web est né

Des champignons hallucinogènes à Silk Road

Avec tout son bagage en informatique, la technique, il l’avait. Les ingrédients seraient simples, Tor et Bitcoin, entre autres. Pour rappel, Tor est un réseau décentralisé conçu pour protéger la confidentialité et l’anonymat des utilisateurs en acheminant leur trafic Internet via un réseau de serveurs relais.

Il lui fallait maintenant le business-model. Et, il a finalement eu l’idée, l’étincelle, qui allait
déclencher la flamme. Pour que les gens s’intéressent au site, il décide de faire pousser et
de vendre des champignons hallucinogènes.

Oui oui, vous avez bien entendu, Silk Road, le plus gros site de vente sur le dark web démarre par une histoire de champignons. Il fera pousser plusieurs kilos de champignons hallucinogènes de haute qualité à l’abri des regards et mettra le site en ligne en février 2011.

Il annoncera tout ça sur le célèbre forum Bitcointalk, le même site qui a servi de canal de communication à Satoshi Nakamoto dans les premiers balbutiements de l’histoire du Bitcoin.

The dread pirate Roberts sur le pont

Très vite, Ross a ses premières commandes et vendra plusieurs kilos de ses champignons en quelques mois et finira même par écouler tout son stock. Dans le même temps, d’autres vendeurs commençaient d’arriver.

Celui qui se faisait appeler The dread pirate Roberts inspiré du nom d’un personnage d’une comédie romantique américaine des années 80, faisait naître l’Amazon de la drogue. Tout ça vit le jour d’un savant mélange d’idéal libertarien et de frustration entre le monde que voulait Ross et celui dans lequel il vivait.

Dans le même temps, un utilisateur ayant pour pseudo « Altoid » parcourait les forums pour
parler de ce nouveau site où l’on pouvait acheter de la drogue par internet. Il publie aussi sur
Bitcointalk plusieurs messages, demandant de l’aide pour bien configurer son nœud Bitcoin,
ou encore pour recruter un développeur.

Source

« Bonjour, je suis désolé s’il existe un autre fil de discussion pour ce type de message, mais je n’en ai pas trouvé. Je recherche le meilleur et le plus brillant informaticien de la communauté bitcoin pour être le développeur principal d’une startup bitcoin financée par le capital-risque. Le candidat idéal aurait au moins plusieurs années d’expérience dans le développement d’applications web, ayant construit des applications à partir de la base. Une solide compréhension de l’architecture logicielle et de l’exploitation est indispensable. L’expérience dans un environnement de start-up est un plus, ou simplement le fait d’être très travailleur, motivé et créatif.

La rémunération peut prendre la forme d’une participation au capital ou d’un salaire, ou quelque chose entre les deux.

Si vous êtes intéressé(e), veuillez envoyer vos réponses aux questions suivantes à rossulbricht at gmail dot com

1) Quelles sont vos qualifications pour ce poste ?
2) Qu’est-ce qui vous intéresse dans le bitcoin ?

À partir de là, nous pourrons discuter de questions telles que la rémunération et les références, et je pourrai également répondre à vos questions. Merci d’avance à toutes les personnes intéressées. Si quelqu’un connaît un autre bon endroit pour recruter, je suis tout ouïe. »

The dread pirate Roberts alias Ross Ulbricht

Vous l’aurez peut-être deviné, ce pseudonyme est évidemment celui de Ross Ulbricht, c’est
Gary Alford, un agent du fisc américain, qui réussira à remonter sa trace et qui va contribuer à son arrestation, mais pas si vite, on garde ça pour un prochain article.

Il se permettait même de demander des conseils aux gens sur les moyens d’améliorer son site. Un système de réputation des vendeurs est mis en place pour éviter les arnaques, un peu comme sur Ebay par exemple.

Certains vendeurs de drogue envoient même des échantillons à de potentiels évaluateurs, le tout par la poste, avec une fausse adresse de retour et camouflés dans divers objets com des boites de DVD, des baumes à lèvres…

Silk Road grossissait et prenait de l’importance. Dans les premiers mois de l’existence du
site, Ross gérait les fonds de chaque commande à la main. Les transactions étaient envoyées sur son client Bitcoin local et il effectuait chaque ajustement par lui-même. Entre ça, les réponses aux messages, la programmation du site, autant vous dire que ses journées étaient bien chargées.

Un hackeur a même trouvé des failles importantes dans le code de Silk Road et en a discuté
avec Ross, qualifiant ça de pur amateurisme. Et Ross le savait. C’est pour ça qu’il a continué à travailler jour et nuit sur le code du site dans le but de proposer une mise à jour dans les mois à venir, mise à jour qui devrait lui permettre de ne plus avoir à gérer lui-même les transactions.

Silk Road, la petite entreprise qui ne connaît pas la crise

Le jour fatidique de la mise à jour arriva, Ross prenait son courage à deux mains et lançait l’update. Il finit par y arriver et ça avait l’air de fonctionner, il venait de se décharger de la corvée de gestion des transactions.

Je dis bien ça semblait, car en fait tout le code était vérolé, il perdait des centaines de dollars chaque heure qui passait. En reprenant le code de zéro, il réussit finalement à arrêter l’hémorragie, problème résolu, le processeur de transaction fonctionnait bien et faisait finalement le travail à sa place.

En 2012, Silk Road prospérait, le nombre d’acheteurs, de vendeurs, et d’objets listés ne faisait qu’augmenter. On trouvait littéralement tout sur Silk Road. Enfin, tout, pas exactement. Il fallait que les produits listés sur le site soient en adéquation avec la philosophie libertarienne de Ross, c’est-à-dire qu’ils n’aient pas été obtenus en faisant du mal à autrui.

Silk Road est surtout connu pour la drogue, la majorité des ventes concernaient de petites quantités de cannabis, même si on trouvait plein d’autres choses comme des livres ou de l’art
par exemple.

Il faut bien comprendre une chose, c’est que l’idée des marchés noirs en ligne ne date pas de Silk Road. À la sortie du site, ça existe déjà. Mais Ross vient chambouler tout ça et innover, et il parviendra à ses fins grâce à Tor et Bitcoin qui sont vraiment au cœur du fonctionnement de la plateforme.

D’ailleurs, en 2010, plusieurs personnes parlaient déjà du potentiel de Bitcoin dans la réalisation d’une marketplace dédiée à la drogue. Ross ne s’est pas contenté de la théorie, il est passé à la pratique.

En 2013, Silk Road est au sommet. Par le biais des ventes, le site a fait transiter plus de 9
millions de Bitcoins. Vous avez bien entendu, neuf millions. Et bien entendu, le site prenait
une commission, 10 % du prix d’une transaction. Au total, la plateforme aura collecté plus de
600.000 Bitcoins uniquement en frais, rendez-vous compte, c’était un vrai mastodonte.

Le mot de la fin… mais ce n’est que le début

À l’époque, le prix du Bitcoin était d’environ 100 $, ça représente donc un volume de transaction de plus d’un milliard de dollars sur trois ans pour un total de 80 millions de dollars de frais collectés. Au cours actuel, ces frais représentent environ 15 milliards de dollars, c’est colossal.

En tout, le site aura mis en relation près de 150.000 acheteurs et 4 000 vendeurs à travers le
monde, avec plus de 13.000 produits listés. Évidemment, ces chiffres et les activités illégales du site finiront par attirer les regards des autorités, et notamment du FBI. Vous vous en doutez, ça ne pouvait pas bien finir. Il fallait aussi découvrir qui était derrière le pseudo de Dread pirate Roberts, il fallait faire s’écrouler ce nouvel empire de la drogue, il fallait fermer Silk Road. En tout cas, l’ascension et la chute du site est l’un des récits les plus spectaculaires de l’histoire d’Internet et 10 ans après, Ross Ulbricht demeure toujours derrière les barreaux, probablement pour le restant de sa vie. Mais ça, nous vous en parlons dans un prochain article.

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Source: journalducoin.com

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