Ces deux évènements remettent-ils en question le modèle de décentralisation d’Uniswap ?
Uniswap est le protocole DeFi le plus populaire de la cryptosphère. Mais deux récents incidents ont amené les observateurs à remettre en question l’efficacité du modèle de décentralisation sur lequel le protocole est fondé. Ces deux incidents semblent avoir affecté les performances d’UNI, le jeton natif de la plateforme, qui occupe actuellement la 10ème place du marché en termes de capitalisation boursière, après avoir été dans le top 5.
Une restriction de l’accès aux jetons
Le premier incident et le plus récent est le retrait de certains jetons depuis l’interface gérée par Uniswap Labs. "Cela montre une énorme pression qui se déplace dans l’espace réglementaire", a déclaré Will Foxley, de Coindesk. Il s’agit principalement de jetons tokénisés et de produits dérivés. Cette décision intervient peu après les déclarations du premier responsable de la Securities and Exchange Commission, Gary Gensler, selon lesquelles les produits cryptos porteurs d’intérêts sont considérés comme des contrats d’investissement, et donc soumis aux lois sur les valeurs mobilières, qu’ils soient proposés au niveau de la CeFi (finance centralisée) ou la DeFi.
Un certain nombre d’acteurs ont critiqué la décision d’Uniswap, s’inquiétant de la possibilité que d’autres plateformes DeFi adoptent la même politique. Joey Krug, le co-CIO de Pantera Capital et co-fondateur d’Augur a tweeté que la décision d’Uniswap "crée un très mauvais précédent".
Pour d’autres, cette décision est compréhensible : le créateur de Yearn Finance, Andre Cronje a commenté qu’ "Uniswap est une société enregistrée aux États-Unis et Uniswap.org, un site Web appartenant à l’entité américaine. L’entreprise devrait agir dans son intérêt, y compris en censurant le site Web, au besoin".
Un détail technique pourrait pourtant rassurer : le protocole Uniswap est le back-end qui permet de réaliser des contrats intelligents décentralisés et sans permission sur Ethereum. L’application Uniswap, le front-end, relève du domaine privé, appartenant à Uniswap Labs. Ainsi, alors que l’autorité de régulation américaine peut toucher le front-end américain, elle ne peut pas toucher le back-end du protocole Uniswap. Les utilisateurs peuvent toujours accéder à ces jetons par le biais d’autres plateformes DeFi qui les prennent en charge.
Beaucoup considèrent que les régulateurs franchissent la ligne rouge en voulant restreindre l’activité des développeurs de code libre si ces derniers se contentent de mettre un logiciel à la disposition d’autres personnes dans un système ouvert et réglementé par des jetons, sans prendre en charge la garde des fonds ou des actifs des utilisateurs.
Le problème de gouvernance autour du "DeFi Education Fund"
Le second incident concerne le “DeFi Education Fund”, une initiative d’une organisation étudiante, le “Harvard Law Blockchain & FinTech Initiative” (HarvardLawBFI). Initialement, l’organisation proposait d’allouer un budget de 1 à 1,5 million de jetons UNI (d’une valeur de 25 à 40 millions de dollars à l’époque) provenant de la trésorerie d’Uniswap pour embaucher des " avocats et lobbyistes" afin de défendre les intérêts de la DeFi.
Peu de temps après avoir obtenu la subvention, l’équipe derrière le DeFi Education Fund a annoncé qu’elle avait vendu la moitié des jetons UNI – pour un peu plus de 10 millions de dollars, provoquant les critiques des observateurs qui soupçonnent un délit d’initié (insider trading).
Le trader Hsaka a décrit la structure de gouvernance d’Uniswap comme "un théâtre de la décentralisation". Le fondateur de DeFi Watch, Chris Blec, avait publié un fil de discussion sur la gouvernance, déclarant que "les membres du comité du Fonds d’éducation DeFi, l’équipe centrale d’Uniswap et ses investisseurs (dont la firme de capital-risque a16z) ont refusé de répondre à toutes les questions qui leur ont été posées sur les origines du fonds, sa politique…” Blec pointe en particulier du doigt le fait que les fonds n’ont pas été vendus sur une période de 4-5 ans, comme il était stipulé précédemment.
Plusieurs observateurs ont affirmé que les groupes disposant de "supermajorités massives", représentant 18% du poids total des votes de l’écosystème réunis et ayant voté en faveur du fonds, auraient pu bénéficier personnellement et financièrement de sa création.
Tous ces points soulèvent des questions sur l’efficacité du Fonds : comment le groupe peut-il être "crédible pour les régulateurs alors que certains d’entre eux semblent se soucier si peu des conflits d’intérêts, de l’autosurveillance et de la priorisation de la communauté", a demandé l’avocat Gabriel Shapiro.
Ces deux évènements ont éclipsé deux nouvelles d’importance pour le protocole : le lancement d’une solution de niveau 2 sur le mainnet Optimistic Ethereum et l’ajout d’Uniswap dans les fonds de Grayscale. Comme le premier évènement est lié à des circonstances extérieures en-dehors du contrôle d’Uniswap (qui risquent d’affecter la DeFi dans son ensemble), la réputation d’Uniswap a surtout été entachée par l’opacité autour du “DeFi Education Fund” dont les répercussions pourraient affecter le protocole à long terme. En tout cas, étant donné les menaces réglementaires qui se précisent autour de la DeFi, il serait intéressant de voir si les efforts de lobbying du DeFi Education Fund pourraient contribuer à modérer la position des régulateurs envers le secteur.
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Source: fr.cryptonews.com